Florence se classe sans conteste parmi les plus belles merveilles du monde. Ville sainte pour les amateurs d'art et d'architecture, berceau de la Renaissance, la cité toscane accueille plus de 10 millions de touristes chaque année, venus y visiter le Duomo, y rencontrer le génie de Botticelli à la Galerie des Offices, ou encore y admirer la vue depuis l'esplanade de la Piazza Michelangelo. L'Italie sait comme aucun autre pays offrir un cadre de vie pittoresque dans chacun de ses recoins, mais s'il est une destination qui enivre à chaque coin de rue, à chaque pavé, à chaque vestige d'un passé glorieux, si bien que l'on ne sait plus où poser les yeux, c'est bien Florence.
Et bientôt, Florence comptera un monument de plus à visiter, mais bien ultra-moderne cette fois. A une petite dizaine de kilomètres à l'est de la ville, dans la petite commune de Bagno a Ripoli pour être précis, la Fiorentina va établir son tout nouveau centre d'entraînement, ses bureaux et son centre de formation, au coeur d'un complexe de plus de 75 hectares, le plus grand du pays. Le projet s'établit sur le domaine de la Villa Favard de Rovezzano, construite au début de la Renaissance par la famille Cerchi. Vendue et passée de familles en familles, elle reviendra à la baronne Fiorella Favard en 1855, sera rénovée en 1889 avant de tomber en décrépitude, au point de se muer en hôpital militaire au cours de la Première Guerre Mondiale. Tombée à l'abandon, c'est la ville de Florence qui en héritera en 1949, jusqu'à ce que la Viola la rachète à son tour. D'ailleurs, cela eut été un blasphème pour le club de ne pas intégrer sa riche histoire à son avenir, et si le centre de la ville interdit logiquement un tel projet, c'est dans sa proche périphérie que l'architecte local Marco Casamonti a conçu un espace conjuguant héritage et modernité.
L'ambition pour le cabinet Casamonti & Partners était donc de conserver la structure historique des lieux, pour y écrire une nouvelle histoire. Le président du club, Rocco Commisso, en avait d'ailleurs fait le voeu lors de son arrivée : il veut laisser une empreinte au sein du club, et ce projet en sera la preuve la plus tangible. Aussi c'est sur ses deniers propres, et en totalité, que le fantasque président du club florentin financera les 75M€ que coûtera ce nouvel écrin, mettant ainsi un terme à la fin de cycle moribonde de la gouvernance des frères Della Valle, et ouvrant un tout nouveau chapitre pour la Fiorentina. UN PROJET RENAISSANT Le Viola Park, nommé ainsi temporairement, rassemblera sur un même espace a minima 400 personnes au quotidien, comprenant le personnel du club, les sections masculines, féminines et juniors du club. Pas moins 10 terrains chauffés, dont un avec une tribune de 1500 places, et un autre muni de 2 tribunes d'une capacité totale de 3000 places, seront intégrés pour offrir une qualité d'entraînement optimum pour chaque catégorie. Des bureaux, des appartements, un gymnase, une piscine, une salle événementielle, un musée, un media center, les studios de la chaîne télé du club, des restaurants et même une chapelle feront également partie du complexe. Ce projet n'aurait jamais vu le jour si Diego et Andrea Della Valle n'avaient pas accepté l'ultime proposition de Rocco Commisso, qui a tenté pendant 3 ans de s'offrir le club. Après avoir fait plusieurs offres restées sans réponse, c'est finalement en juin 2019 qu'il a enfin pu accéder à son rêve d'acquérir une formation de Serie A. Très attachée au club, la famille Della Valle lui avait permis de retrouver l'élite du football italien ainsi que les coupes d'Europe, après avoir racheté l'équipe suite à sa rétrogradation en 4ème division pour cause de faillite. En revendant le club pour 165M€ quelques 17 années plus tard, la bascule est belle pour les Della Valle, au demeurant déjà milliardaires. Cela tombe bien, Commisso est lui aussi milliardaire. Et pressé. TU VUÒ FÀ L'AMERICANO Né dans une petite ville de Calabre en 1949, Rocco Commisso et sa famille émigrent aux Etats-Unis alors qu'il n'a que 12 ans. Là-bas, les Commisso s'installent dans le Bronx, comme beaucoup d'autres familles italiennes, et Rocco va vivre le rêve américain comme on ne le voit qu'au cinéma. Son premier petit boulot ? Joueur d'accordéon, durant les entractes au cinéma. Mais ensuite, le rêve se met en marche. L'Université de Columbia de New York, un diplôme d'ingénieur, une carrière partagée entre l'industrie, la finance et les médias. La création de Mediacom en 1995, sa société de télécommunications démarrée dans son garage. Il assure la transmission de la sacrosainte télévision câblée et d'internet dans les petites villes américaines, alors mal raccordées. Depuis, Mediacom est devenu le 5ème plus gros fournisseur d'accès à la télévision câblée, et le mieux noté par les consommateurs. Commisso devient riche, très riche. Forbes estime sa fortune à 8,3 milliards de dollars (environ 7,5 milliards d'euros), ce qui le classe 352ème fortune mondiale. Pourtant, cela ne le rend pas moins affable ; il est même plutôt avenant et drôle. Lors de son rachat de la Fiorentina, dans un italien hésitant après toute une vie passée aux Etats-Unis, Commisso transmet une détermination toute américaine, rappelant à l'envie qu'il a été dans ses jeunes années joueur et capitaine de l'équipe de soccer de l'Université de Columbia. Il clame aussi son envie de redorer le blason du club, ritournelle pourtant éculée dans le monde des dirigeants de clubs. Sauf que Commisso, déjà propriétaire de la mythique franchise des New York Cosmos, n'a pas le temps, il a de l'argent, et la passion du calcio chevillé au corps. Début octobre 2020, il présente à la presse et aux tifosi le projet dessiné par Casamonti & Partners. Début janvier 2021, les travaux démarrent, pour une livraison espérée aux alentours de Noël de la même année. Une prouesse, car l'ampleur des travaux indiquait plutôt un délai d'au moins 18 mois. Et Commisso a vu grand, très grand pour offrir un splendide palais à son nouvel amour florentin. Seule ombre au tableau, le groupe d'activistes Italia Nostra, mené par le professeur retraité de l'Université de Florence Leonardo Rombai, qui a saisi le président italien Sergio Mattarella pour contester le choix de l'emplacement du projet Viola Park. Selon eux, il s'établit sur des terres agricoles protégées, alors même que le club, le maire de Bagno a Ripoli et le cabinet d'architecte ont eu tous les feux verts requis après soumission du dossier aux autorités concernées. Si les travaux sont en cours, la joute judiciaire n'est pas encore résolue ; mais la Fiorentina a le soutien de la maire de Florence, du maire de Bagno a Ripoli et du président de la ligue italienne de football. LE NOUVEAU STADE, LE SERPENT DE MER DE FLORENCE Ce n'est d'ailleurs pas la première épine dans le pied du président Commisso. D'abord désireux de bâtir un nouveau stade, là aussi hors du centre de Florence, il s'était vu empêcher de donner suite à ses projets par un autre activiste, soutenu par le Ministère de la Culture, estimant que le stade pouvait être rénové, et qu'il n'y avait nullement besoin d'en construire un ailleurs. Certaines voix expliquent que c'est ce projet qui a entraîné la réponse "punitive" intentée par Italia Nostra sur le projet Viola Park. Faire sortir la Fiorentina du centre de Florence est mal vu, et serait mal vécu. Pourtant, le stade Artemio Franchi fait bien ses 90 ans, et sa vétusté est aujourd'hui une source d'inquiétude pour la sécurité des spectateurs. Loin d'être une attraction touristique et souffrant de son image dans la ville carte postale qui l'héberge, Commisso souhaitait faire de ce monument à l'abandon une nouvelle source d'attractivité pour la ville, et pour son club. Les Della Valle ont déjà essayé à plusieurs reprises, en 2008, 2012 et 2016, de lancer le projet de nouveau stade. D'abord dans le secteur de Castello au nord-ouest, mais le projet a été abandonné suite à plusieurs scandales de corruption. Puis dans la zone de Novoli, au nord-ouest également et proche de l'aéroport, en lieu et place d'un ancien marché de gros de fruits et légumes. Les plans ont été validés en 2017 et le stade devait voir le jour en 2021, mais les travaux n'ont jamais démarré et le projet a été abandonné. Rocco Commisso est aujourd'hui prêt à investir 250M€ pour bâtir un stade de 42 000 places digne de Florence. Une étude du cabinet Deloitte menée en 2020 estime que les revenus générés par cette nouvelle arène pourraient rapporter 5 millards d'euros en 10 ans, que ce soit en revenus de billetterie et jour de match pour le club, via l'activité commerciale créée par des commerces alentours, ou encore à travers une hausse des impôts fonciers générés dans la zone géographique du stade. La moitié de ces 5 milliards reviendrait au club uniquement, ce qui correspond à un montant annuel de 225M€ ; le chiffre d'affaires annuel du club étant de 94M€, l'impact serait massif pour le club. Les revenus de jours de match s'élèvent à ce jour à 5,3M€/an (billetterie, ventes sur place, restauration,...), contre une projection à 126M€/an, estime Deloitte. En attendant leur nouveau stade, les joueurs de la Fiorentina pourront bientôt jouir, si tout se passe comme prévu, d'un cocon à la fois ultra-moderne et profondément toscan. Niché dans le ventre mou de Serie A depuis l'arrivée de Commisso, le projet Viola Park devra permettre au club de ne plus devoir se séparer à contrecoeur de ses plus belles oeuvres, comme Federico Chiesa, mais bien de les conserver et de les faire admirer de tous. |
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