Il y a, dans le football, une quantité incommensurable de clubs. Parmi eux, il y en a des légendaires, des connus, des moins connus et des inconnus. Il y en a de ceux qui sont gravés dans le marbre, d’autres qui se fondent dans la masse, et d’autres encore, à l’émergence plus récente, qui tentent de se frayer leur petit bonhomme de chemin dans le vaste et exigeant monde du ballon rond. Ceci d’ailleurs, il faut le rappeler, pour notre plus grand plaisir, puisque nous nous sommes donné pour mission de faire la lumière sur certaines de ces équipes qui, malgré le désintérêt général dont elles souffrent, méritent pourtant, et très souvent, le détour. Gravée dans le marbre, fondue dans la masse, et à l’émergence plus récente : voici une description qui, paraissant paradoxale à prime abord, pourrait justement bien correspondre au profil du Cagliari Calcio. Car si 1920, date de la fondation du club, n’est pas une période contemporaine pour celles et ceux qui liront ces lignes, c’est une année de fondation plutôt tardive par rapport à d’autres clubs qui, bien souvent, ont vu le jour à la toute fin du XIXème siècle. Le doute quant au caractère récent du club sarde est, quoi qu’il en soit, tout de suite levé dès lors que l’on s’intéresse plus spécifiquement à la date où le Cagliari Calcio a obtenu son statut professionnel, à savoir en 1964, lors de son accession en Serie A. Mais cela n’empêche pas le club rossoblù d’être gravé dans le marbre, celui de l’histoire du football et plus particulièrement du football italien. Depuis 1964, en effet, Cagliari n’a connu que huit saisons dans les échelons inférieurs, la Serie B et la Serie C, passant les quarante-et-une restantes dans l’élite transalpine. Et c’est sûrement pour cette même raison qu’il s’agit d’un club qui se fond dans la masse : les amateurs de football se sont accoutumés à son existence, à sa présence, et se sont habitués à le voir évoluer dans le championnat italien aux côtés d’institutions plus ronflantes. Quel fan de football, pourtant, du plus expert au consommateur occasionnel, ne connaît pas le Cagliari Calcio, et ce sans même que le club de Sardaigne soit de ces clubs les plus titrés ? LE MAINTIEN EN SERIE A, UNE LUTTE PERPÉTUELLE Le football professionnel naît en Italie un beau jour de septembre 1893 avec la création du tout premier club rossoblù, né, non pas à Cagliari, mais à Gênes : le Genoa Cricket and Athletic Club, devenu ensuite et jusqu’à maintenant le Genoa Cricket and Football Club. Cette date marque une étape importante en ce qu’elle a été le départ de la diffusion massive du football dans le reste du royaume d’Italie, directement importé par les travailleurs (les workers) venus de Grande-Bretagne. Renommé calcio, celui-ci s’exporte alors également dans les îles, parmi lesquelles la Sardaigne, qui ne déroge donc pas à la règle. Si les premières traces d’un match de football, joué entre des british workers et des techniciens italiens travaillant sur la construction d’une ligne de chemin de fer, remontent à la fin du XIXème siècle, les premiers clubs sardes naissent au commencement du XXème : la Società per l’educazione fisica Torres naît en 1903 et devient la première équipe sarde à arborer les couleurs bleu et rouge, le Ilva Football Club voit le jour la même année, tandis que le Olbia Calcio est fondé en 1905. Plus au sud, la ville de Cagliari attend toujours son heure. Mais aidée par sa situation topographique, étant une ville portuaire où débarquent de nombreux travailleurs britanniques, Cagliari ne tardera pas non plus à voir son propre club de football être créé. Et lorsque deux hommes à l’esprit éclairé voient le calcio déchainer les passions et décident, un soir de printemps 1920, de se réunir dans une salle du Théâtre Eden de la ville, leur discussion ne peut aboutir qu’à une seule chose : la nécessité de doter celle-ci de sa propre équipe de football. Gaetano Fichera, chirurgien et professeur de médecine, et Antonio Zedda Piras, ingénieur viticole, fondent alors le Cagliari Football Club le 30 mai 1920 : le football débarque enfin dans la capitale de la Sardaigne. Le premier match de la nouvelle équipe se joue lors d’un amical face à la plus dominante de l’île, la Torres, le 8 septembre de la même année au stade local Stallagio Meloni. Les hommes de la capitale l’emportent sur le score de 5 buts à 2 face à leurs premiers rivaux historiques, dans un match où ils ne portaient pas encore les classiques couleurs rouge et bleu, portées par leur adversaire, mais des maillots blancs conçus à base de blouses médicales données par le président du club et chirurgien, Gaetano Fichera. Pour sa première véritable saison, sept ans après sa fondation, Cagliari intègre la quatrième division italienne. Les vingt premières années du club sarde sont marquées par des allers-retours incessants entre deuxième, troisième et quatrième division, auxquelles s’ajoute même un passage de deux saisons dans le cinquième échelon. Au niveau financier, les choses ne vont pas non plus bon train, le club faisant faillite en 1935, avant qu’une nouvelle entité naisse des cendres de la première : l’Unione Sportiva Cagliari reprend le flambeau. C’est à partir de la saison 1947/1948 que Cagliari connaît un peu plus de stabilité sportive au milieu du chaos, n’alternant plus désormais qu’entre la Serie B et la Serie C. Les années 1950 vont véritablement marquer le tournant dans l’histoire du club de Sardaigne. Celui-ci connaît alors une série de huit saisons consécutives en Serie B, prestation record qui lui permet enfin de pouvoir viser plus haut et ne plus regarder en bas. La saison 1958/59 est même synonyme d’une très belle quatrième place. Mais alors que tout semble aller pour le mieux, les vieux démons de Cagliari ressurgissent et les Rossoblùterminent la saison suivante à la vingtième place du championnat, synonyme d’une (re)descente en Serie C. Le club traverse alors une grande crise qui va entraîner un changement de direction profond : Giuseppe Meloni, président, démissionne en 1960 et laisse Enrico Rocca et Andrea Aricca se charger de la suite. Malgré la situation d’endettement important du club, les deux hommes réussissent à convaincre les établissements bancaires de leur accorder des prêts et peuvent ainsi doter le club d’une équipe destinée à briguer une remontée. Les nouveaux dirigeants misent alors sur des joueurs rugueux, qui collent parfaitement au caractère très marqué de la ville, et même de l’île plus globalement. Parallèlement à cela, ils cherchent également à flairer les bons coups. Et de quel nez feront-ils preuve lorsque les deux Italiens vont aller dénicher le jeune Luigi Riva qui se démarque par sa grande qualité de buteur du côté de Legnano en Serie C. Personne ne le sait encore, mais celui qui finira par être surnommé « Gigi Riva », et deviendra le meilleur buteur et la plus grande légende de l’histoire du club à tel point que son numéro, le 11, sera retiré. Celui-ci joue un rôle déterminant à la fois dans la montée du club en Serie A, et, plus tard, dans son sacre de champion d’Italie. Car le projet des deux Italiens est clair et sans ambiguïté : faire remonter le club le plus vite possible en Serie B, et même viser plus haut. C’est chose faite lorsque, deux saisons plus tard, lors de l’exercice 1962/63, les Rossoblù retrouvent le championnat qu’ils avaient quitté. La saison d’après, ils réussissent même à obtenir une neuvième place qui leur permet d’envisager une suite optimiste des choses. Cet optimisme se vérifie d’ailleurs lorsque pour sa deuxième saison en Serie B depuis son retour, Cagliari termine à une deuxième place synonyme de montée en Serie A, l’échelon suprême du football italien : le graal tant désiré par toute une île est enfin acquis, un graal auquel s’habitueront les Sardes pendant douze saisons consécutives. Le meilleur buteur lors de cette saison est Ricciotti Greatti avec 11 réalisations, suivi du jeune Gigi Riva qui s’offre 8 buts : les deux joueurs, fraichement recrutés par Rocca, s’imposent dès leur première saison chez les Rossoblùpour leur offrir leur tout premier ticket d’entrée en Serie A. Si ces chiffres n’impressionnent plus autant aujourd’hui, il faut se rendre compte qu’ils sont à l’origine, à cette époque, de respectivement 25% et 20% des 44 buts marqués par l’équipe durant la saison. Et durant ces douze années de Serie A consécutives, l’une d’entre elles va particulièrement marquer les esprits et définitivement rester ancrée dans celui des tifosi du club ilien : la saison 1969/70. Alors que le projet jusqu’en 1964 était d’accéder au plus haut échelon du football italien, lorsque celui-ci fut enfin obtenu, l’objectif changea logiquement. Bien que naturellement soucieux de se maintenir en Serie A, à Cagliari, comme partout ailleurs et de façon générale, on rêve du meilleur : le scudetto, le saint-graal. Et la performance, l’exploit, le rêve, seront ainsi réalisés lors de cette inoubliable saison 1969/70. Mais avant cela, il faut se remémorer que Cagliari avait posé le ton dès son accession à la Serie A , finissant ses deux premières saisons à la septième et neuvième place respectivement. Mieux que cela, les Rossoblùétaient déjà presque parvenus, lors de la saison 1968/69, à remporter le scudetto en ayant terminé l’exercice à la deuxième place, à quatre points derrière la Fiorentina qui remportait cette fois-là son deuxième titre. Ce sacre s’est donc avéré comme la « suite logique » des choses, tant le club et ses dirigeants avaient œuvré pour mettre sur pied une équipe compétitive et destinée à jouer les premiers rôles dans ce championnat italien. Pour ce faire, Enrico Rocca (ré)engage Manlio Scopigno, « le philosophe » au visage impénétrable et à la démarche un peu bohème, afin de faire de cette équipe une équipe de vainqueurs. L’homme déjà passé par le club trois ans auparavant, monte alors un effectif centré autour de deux piliers majeurs et extrêmement opposés sur le terrain : Albertosi, l’un des plus grands gardiens de l’histoire du championnat, et Gigi Riva, terrifiant attaquant à la puissance explosive. S’ajoutent à ces deux-là une défense de roc pilotée par le rugueux stoppeur Niccolai – futur international italien qui sera plus tard, à son grand regret, surnommé d’autogoleador légendaire – et un formidable milieu à quatre composé de Cera, Nené, Greatti et Domenghini. Des joueurs valeureux auxquels Scopigno vient ajouter la recette miracle, la touche finale, la cerise sur le gâteau : une symbiose collective, reposant sur la liberté et l’amitié. Liberté, car, évidemment, lorsqu’on joue à Cagliari, les projecteurs de la télévision et les micros des journalistes ne sont pas braqués sur vous ; mais ce n’est qu’un mal pour un bien car cela permet aux joueurs de rester focalisés sur leur objectif. Amitié, ensuite, car c’est sur le solide ciment de l’entente collective, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des quatre lignes, que le football des Sardes va reposer. Ce sont des frères qui vont se battre chaque semaine sur le champ de bataille, et cela fait toute la différence. « De ces années, je me souviens surtout du vestiaire. Nous nous aimions. » - Luigi Riva, à propos de l'effectif de 1969/70 Un tel sentiment de fraternité et de confiance dans le vestiaire fait d’autant plus la différence lorsque le titre fait l’objet d’une lutte acharnée entre Cagliari, champion d’automne, et la Juventus qui leur colle au train durant la quasi-totalité de la deuxième partie de saison. Tout se joue lorsque les deux équipes, à deux points d’écart, s’affrontent dans un match ayant réuni 70,000 spectacteurs au Stadio Comunale de Turin, un beau dimanche de mars 1970 : « la partita dell’anno », le match de l’année. Et alors que tout semble s’effondrer pour les joueurs de Scopigno menés 1-2 jusqu’à la 82ème minute de jeu, les Sardes bénéficient d’un pénalty lorsque Gigi Riva, très frustré par l’arbitrage, s’écroule dans la surface, bousculé par son adversaire. La légende de Cagliari ne se fera pas prier pour égaliser et permettre à son équipe de garder de l’avance au classement. Une avance qui s’avérera être très précieuse par la suite, lorsque la Juventus finira par s’écrouler à deux reprises face à la Fiorentina et à la Lazio permettant ainsi à Cagliari de s’envoler vers son premier sacre, chose obtenue dès la 28ème journée avec une victoire 2-0 face à Bari : jour de gloire pour la Sardaigne, pour tout un peuple, qui jusqu’à ce moment, logeaient à part dans la grande botte. « Le scudetto remporté par Cagliari représentait la véritable entrée de la Sardaigne en Italie. C'est l'événement qui a sanctionné l'insertion définitive de la Sardaigne dans l'histoire du costume italien. [...] La Sardaigne avait besoin d'un grand succès et l'a eu avec le football, en battant les équipes de Milan et de Turin, traditionnellement les capitales du football italien. Cette région représentait une autre galaxie jusqu'aux années 1960. Pour s'y rendre, il fallait prendre l'avion et les Italiens avaient une peur atavique de ce moyen de transport. Le championnat a permis à la Sardaigne de se libérer des anciens complexes d'infériorité et ce fut une entreprise positive, un événement joyeux. » – Gianni Brera, doyen des journalistes sportifs italiens à propos du sacre de Cagliari L’US Cagliari – qui deviendra le Cagliari Calcio l’année suivant son sacre – et la Sardaigne sont enfin rentrés dans l’histoire du football italien. Mais si l’on parle d’une série de douze années consécutives en Serie A, c’est bien parce que celle-ci finira par prendre fin. Ainsi, l’équipe finit par redécouvrir la Serie B à l’issue d’une saison 1975/76 catastrophique marquée par une seizième et dernière place. Une fois encore, et jusqu’en 1990, le club retombe dans ses travers, ceux de l’instabilité sportive, en faisant l’ascenseur entre la Serie A et la Serie C (l’équipe ayant subi des pénalités en Serie B pour match truqués). Depuis 1990, le club s’est à nouveau inscrit durablement dans le paysage de l’élite transalpine à quelques saisons près, ayant passé 26 saisons des 32 écoulées depuis en Serie A. En 1994, Cagliari connait même une demi-finale d’Europa League perdue face à l’Inter Milan. Cette exception mise de côté, les prestations sont néanmoins beaucoup moins glorieuses depuis lors pour le Cagliari Calcio, qui se bat perpétuellement non plus pour les premières places, mais pour sa survie dans l’élite : si depuis 2004/05 le club n’est descendu qu’une seule fois (lors de la saison 2015/16), la position moyenne des Rossoblù en Serie A depuis cette date est la 14ème place : les Sardes évoluent désormais dans un championnat qui a changé, et dans lequel se dressent des mastodontes face auxquels il est devenu bien plus difficile de lutter, notamment sur le plan financier. UNE TERRE, UN PEUPLE, UN CLUB Si le Cagliari Calcio est un club ancré dans la roche comme évoqué précédemment, c’est aussi parce que le nom de la ville provient du terme sarde Casteddu, qui signifie « château » en français, en référence au château fort qui se dresse sur la colline calcaire homonyme de la ville. Le club ne pouvait alors qu’hériter des caractéristiques historiques de son lieu d’origine pour dresser lui-aussi son château dans le paysage du football italien, un château s’étant montré à plusieurs reprises prenable mais n’ayant jamais complètement cédé, pour enfin se révéler et se présenter aux yeux de tous comme le vainqueur de la bataille menée en 1964. Depuis, ce château vacille à nouveau mais s’accroche aux fortes racines qu’il s’est forgé au fil des années pour se dresser au milieu du royaume du football italien, dans le but de s’y maintenir. Bien que volontairement métaphorique, cette description ne manque pourtant pas de décrire une réalité incontestable : le club de Cagliari est définitivement et profondément lié à sa ville, à sa terre. Un tel attachement se perçoit d’ailleurs à plusieurs niveaux. Premièrement, le club arbore fièrement, et ce depuis la création du tout premier écusson en 1950, les quatre Maures, symbole de la Sardaigne représentant les quatre rois sarrasins vaincus par les Aragonais lors de la bataille d'Alcoraz en 1096 sur les terres espagnoles. En plus de 100 ans, et à l’instar de nombreux autres clubs, le symbole de Cagliari a évolué, notamment parce qu’il était naturellement nécessaire de le faire correspondre aux changements de dénominations. Les quattro Mori ne l’ont pourtant jamais quitté. Le nouveau logo adopté depuis 2015 par les Rossoblù a également repris le mythique drapeau de Saint-Georges, arborant ainsi désormais la croix rouge, ce qui ne fut pas toujours le cas. Le surnom des joueurs est également révélateur de l’attachement du club à sa ville, puisqu’il reprend les couleurs officielles de cette dernière à savoir le bleu et le rouge. Des symboles forts qui caractérisent tant la ville et la région auxquels ils sont attachés, et que le club a embrassé pour représenter fièrement toute une île et ses habitants à l’échelle du pays. Signe de cette liaison si forte, le club a même été désigné ambassadeur officiel de la ville de Cagliari par celle-ci. Au niveau de ses partenariats, que ce soit pour son maillot ou ses infrastructures, le club cherche également à mettre en valeur les entreprises et marques locales : la radio sarde Radiolina, les sociétés fromagères Formaggi Ovini Sardi et Pecorino Sardo, l’entreprise d’artisanat local Isola, la société de télécommunications Tiscali, la compagnie de transport Tirrenia, ou encore la marque de bière Ichnusa sont autant d’entreprises locales qui sont devenues au fil des années de solides sponsors du club. L’attachement du club à sa terre se mesure enfin, et surtout, à son rapport à ses supporters. Car des tifosi du Cagliari Calcio, s’il n’y en a pas autant que pour d’autres écuries plus prestigieuses, il n’en manque toutefois clairement pas. En Italie, comme sur le reste du globe, le club peut compter sur des centaines de milliers de supporters qui viennent assister aux matchs à domicile avec passion et n’hésitent pas, pour ceux qui le peuvent, à traverser la Méditerranée, le pays ou l’Europe pour aller soutenir leurs joueurs à l’extérieur. Ces supporters se révèlent être un plus grand atout encore lorsqu’ils s’avèrent être aussi exigeants que ne le sont les Sardes qui attendent de leur club qu’il défende avec passion ses couleurs. Le slogan « una terra, un popolo, una squadra » - une terre, un peuple, un club – est devenu un véritable lien d’union entre joueurs et supporters. Slogan qui témoigne qu’au-delà même de la ville, le Cagliari Calcio apparaît comme le club de la Sardaigne, le club de toute une île. Une passion qui parfois vire à l’excès et à l’intolérance, les tifosi sardes se rendant parfois coupables de chants et de signes racistes auquel le club ne souhaite en aucun cas s’associer. DE LA FORMATION ET DES BONS COUPS FINANCIERS Au milieu d’un football moderne dominé par des géants financiers qui peuvent se permettre, même en temps de pandémie mondiale, de débourser des centaines de millions d’euros sur le marché des transferts pour s’arracher les meilleurs joueurs de la planète, Cagliari, qui dispose de moyens plus modestes, doit penser sa stratégie afin de ne pas se faire engloutir. Et comme pour bon nombre de clubs, le modèle adopté par les Rossoblù repose alors sur la formation. Face à un vivier de joueurs locaux qui reste néanmoins limité, le club de Casteddu ne peut pas uniquement compter uniquement sur son académie dans l’optique de se maintenir en Serie A. Preuve en est, l’effectif actuel ne compte que cinq joueurs du cru sur vingt-huit, soit 18% de l’effectif total : Simone Aresti (gardien, 35 ans), Andrea Carboni (défenseur, 20 ans), Riccardo Ladinetti (milieu de terrain, 21 ans), Alessandro Deiola (milieu de terrain, 26 ans) et Luca Gagliano (attaquant, 21 ans). Seuls Deiola et Carboni étant titulaires dans l’effectif, le reste des joueurs mentionnés ne sont que que très peu, voire pas du tout, utilisés. Il faut dire qu’il est difficile de s’imposer à Cagliari. Rares sont d’ailleurs les exemples de joueurs ayant réussi chez les Rossoblùavant de s’envoler dans un plus grand club, le meilleur – et sûrement le seul – exemple étant Nicolò Barella, né à Cagliari, et formé chez lui avant de devenir un joueur essentiel de l’Inter Milan et de la Squadra Azzura. Réussir est d’autant plus difficile au vu de l’exigence des supporters qui attendent le meilleur de leurs poulains : Deiola pourra en témoigner, lui qui essuie parfois les critiques de tifosi le trouvant trop juste pour la Serie A. L’essentiel des joueurs formés par le Cagliari Calcio va en pratique alimenter les clubs de Serie B et Serie C : Mattia Felleca à Pise, Ivan Michelotti à Albinoleffe ou encore Gianluca Contini à Legnano, par exemple. A côté, beaucoup d’entre eux sont également envoyés, notamment en prêt, dans le club voisin d’Olbia : Giuseppe Ciocci, Salvatore Boccia, Simone Pinna, Nunzio Lella ou Roberto Biancu sont des exemples de joueurs issus des équipes jeunes de Cagliari évoluant actuellement du côté du club Serie C. Cette collaboration avec le club d’Olbia s’inscrit dans une plus large stratégie locale menée par le club. Afin d’améliorer et d’étendre, en quantité comme en qualité, son vivier, le Cagliari Calcio a notamment mis sur pied une académie régionale, la Cagliari Academy. Celle-ci étant destinée à permettre aux Rossoblù de tisser des liens avec l’ensemble des équipes de Sardaigne, et ansi d’être en mesure de recruter les meilleurs talents de l’île en vue de les intégrer à son centre de formation. Autre signe, s’il en fallait encore un, que le club est bien celui de la Sardaigne tout entière et de tous les Sardes. Et si aujourd’hui Cagliari ne peut se vanter d’une académie prolifique, il faut admettre qu’au soleil, l’avenir est fait d’espoir : celui de voir briller sous les couleurs rouge et bleu de beaux diamants soigneusement polis par les formateurs locaux. Car effectivement, si ce n’est pas le cas de l’effectif principal de Cagliari, sa Primavera, son équipe réserve, cherche à jouer les premiers rôles à son niveau. Ayant terminé la saison à la deuxième place en 2019/20 derrière la Roma, celle-ci occupe actuellement la même place au classement à l’issue de la quatorzième journée derrière la même équipe. Et malgré une onzième place la saison dernière, son jeune attaquant, Lucas Contini (2001), a fini la saison en obtenant le titre de meilleur buteur du championnat avec 18 réalisations. A noter que ce dernier ainsi que Jacopo Desogus (2002), Isaias Delpupo (2003), Christos Kourfalidis (2002), Luigi Palomba (2003), Iurie Iovu (2002) ou Eugenio Fusco (2003), s’ils n’ont pas joué, ont tous été appelés au moins une fois avec l’équipe principale. Signe que leur talent et leur travail méritent d’être récompensés. A côté de cette formation, Cagliari ne se prive toutefois pas d’user de ses deniers pour recruter quelques joueurs. Et lorsque que le club le fait, c’est avec l’idée directrice de réaliser des bons coups en misant très souvent sur des joueurs d’expérience : Diego Godin (gratuit), Martin Caceres (gratuit), Kwadwo Asamoah (gratuit), Bruno Alves (gratuit), Keita Balde (gratuit), Joao Pedro (1,3 M€), ou Leonardo Pavoletti (9,8 M€) sont quelques-uns des exemples phares des bonnes pioches faites par le club. Mais les dirigeants n’hésitent pas non plus à recourir aux prêts de joueurs : Dalbert, Kevin Strootman, Riccardo Sottil, Adam Ounas, Luca Pellegrini, Radja Nainggolan, Daniele Rugani ou encore Robin Olsen, sont là-aussi des exemples de bons joueurs auxquels Cagliari a fait appel ces dernières années. On remarquera d’ailleurs dans cette liste la présence très forte de joueurs sud-américains. Ce particulièrement depuis la présidence de Cellino (1992-2005), avec la création d’une vraie colonie uruguayenne : Martín Cáceres, Nahitan Nández, Gastón Pereiro, Christian Oliva, Diego Godín (parti très récemment), et avant cela José Oscar Herrera, Fabian O’Neill, Diego López ou encore le célébrissime Enzo Francescoli, idole d’un certain Zinedine Zidane. Vingt-deux joueurs uruguayens ont, au total, porté les couleurs de Cagliari ; ce n’est donc pas un hasard si le troisième maillot actuel du club est couleur bleu ciel, en hommage à la Celeste… LE NOUVEAU STADE ET DE LA FIN DE L'ERRANCE La vie de supporter n’est jamais de tout repos, c’est bien connu. Les Sardes pourront parfaitement en témoigner : dès les origines du club, et aujourd’hui encore, supporter le Cagliari Calcio nécessite d’avoir les nerfs solides. Le club est habitué à l’instabilité, alternant inlassablement entre le bon et le mauvais, luttant perpétuellement pour un maintien dans l’élite du football italien. Mais la complexité du club ne s’arrête pas là, car en plus d’une alternance de résultats, celui-ci a également connu une interminable période de changements de stades. Le tout premier stade, de ce qui était à l’époque le Cagliari Football Club, est le Stadio Stallagio Meloni situé à Viale Trieste sur un terrain hérité de la famille homonyme et qui servait auparavant de lieu de stockage de bétail et de matériel pour animaux. Celui-ci sera utilisé durant cinq ans, de 1920 à 1925, avant que le club ne déménage au Campo di via Pola tout fraichement construit et doté d’une pelouse ainsi que d’une longue et unique tribune latérale. Ce nouveau stade vivra suffisamment longtemps pour connaître la faillite du club et sa renaissance à travers l’Unione Sportiva Cagliari. Il servira à l’équipe jusqu’en 1951, date à laquelle celle-ci déménagera à nouveau. A partir de 1951, la nouvelle maison du club de Cagliari devient le Stadio Amsicora. Il ne s’agit pas d’un stade quelconque en Sardaigne, puisque celui-ci avait été construit dès 1923 par Guido Costa, président de la Società Ginnastica Amsicora à la faveur du club gymnaste pour un montant de 11,600 lires. Il s’agit d’un grand stade en béton armé entouré de tribunes et doté d’une piste d’athlétisme autour du terrain de football. Néanmoins, il va, pendant une vingtaine d’années, servir au régime fasciste de Mussolini qui en privatisera l’usage pour les équipes sportives du Parti national fasciste : la Jeunesse italienne du Littorio et les Groupes universitaires fascistes. C’est à la fin de la Seconde guerre mondiale que le club gymnaste récupère la possession de son stade avant qu’il ne finisse par être cédé au club de football de Cagliari en 1964, après y avoir joué ses matchs depuis 1951. Ce stade deviendra l’antre dans lequel se joueront les matchs de la saison 1969/70 et notamment l’inoubliable Cagliari-Bari qui offrira aux Rossoblù leur seul et unique titre de champion de leur histoire. Et justement, quand le club arrive au sommet du football italien, le besoin se fait sentir d’ouvrir un nouveau chapitre et d’emménager dans une nouvelle enceinte, une enceinte plus grande capable d’accueillir plus de monde. Les moyens y sont mis puisque 1,9 milliards de lires (couverts par la municipalité et un crédit sportif national) – soit près d’1M€ – sont déboursés pour construire un nouveau stade dont les travaux commencent dès 1965 pour être aboutis juste après le sacre du club : le cadeau est double pour les tifosi. Le stade d’une capacité d’accueil de 60 000 places nommé Sant’Elia est également construit en béton armé, avec des tribunes ovales et non-couvertes. Une véritable œuvre d’art à l’époque, qui inscrit le club dans une autre dimension et le destine à de grands projets. Le problème, c’est que l’habit ne faisant pas le moine, quand Cagliari retombe au fond du classement et redescend dans les divisions inférieures, ce nouveau stade s’avère bien trop grand. Surtout que la construction du stade n’a pas été suivie de celle d’infrastructures extérieures de soutien pour accueillir le flux de supporters : les voies d'accès environnantes étaient en effet restreintes et incapables de supporter le volume de public qui pouvait affluer dans le stade, tandis que le parking adjacent ne disposait que de 200 places de stationnement. De plus, on s'est tout de suite rendu compte que le stade, à cet emplacement, au lieu de valoriser le nouveau quartier populaire, séparait en fait celui-ci de la ville. Le stade a même connu un malheureux incident lorsque l’un des canaux de conduite souterrains desservant le dépôt de carburant voisin a rompu et a détrempé le sol, faisant émerger le carburant en surface. Ironie du sort, un ouvrier affecté à l’entretien de l’ouvrage, inconscient du danger, avait alors jeté un mégot par terre et provoqué un incendie, lequel avait conduit à une fermeture temporaire le temps que des réparations soient réalisées. Le stade devenant de moins en moins sécurisé (béton fragilisé) et connaissant divers dysfonctionnements (piste d’athlétisme et tribunes en mauvais état, éclairage défaillant…), des travaux de rénovation et d’adaptation aux normes sont réalisés. Mais c’était peine semble perdue, puisque l’obsolescence du stade continuant de croître, un nouveau déménagement apparaît nécessaire à l’orée du nouveau millénaire. Le président du club, Massimo Cellino, décide alors de s’en emparer afin d’offrir à l’équipe un stade ultra-moderne : le choix est fait d’emménager au stade Is Arenas, situé dans la commune de Quartu Sant’Elena en périphérie de Cagliari, alors que celui-ci était utilisé par les équipes amateures locales, avec le projet d’y réaliser des travaux d’aménagement et d’adaptation pour accroitre sa capacité d’accueil et le rendre idéalement fonctionnel. Mais si des gradins préfabriqués en fer ont été ajoutés, la version finale du projet ne verra jamais le jour, la faute à des travaux s’étant finalement révélés non-conformes et non sécurisés, ceci ayant entraîné la réalisation de plusieurs matchs à huis-clos. Une obligation de huis clos que ne respecte pas Cellino en septembre 2012, invitant les détenteurs de billets à se rendre au stade pour assister au match entre Cagliari et la Roma. Cette affaire de nouveau stade lui vaudra finalement un détour en prison, et le club devra quitter l’enceinte pour retourner à Sant’Elia. Le club passe alors dans les mains de Tommaso Giulini – toujours président à l’heure actuelle – qui se retrouve chargé de trouver une nouvelle maison pour son équipe. Son idée consiste alors à construire un stade provisoire sur le parking du Sant’Elia : la Sardegna Arena est montée de toutes pièces en 2017 en face d’un Sant’Elia abandonné et voué à être démoli. Le contraste est alors flagrant, l’emplacement laissant cohabiter deux infrastructures aux époques et méthodes bien distinctes. Cette Sardegna Arena a néanmoins vocation à n’être que temporaire, le temps qu’un nouveau stade soit construit. Il faut dire que les tifosi ont fini par devenir experts en déménagement. C’est ainsi que dès le départ, en 2016, le nouveau président commence à mettre en œuvre un plan de construction d’un nouveau stade situé sur l’emplacement du Sant’Elia. Dès 2017, le feu vert était donné au club et le plan devait être mis à exécution l’année suivante pour une livraison attendue en 2019. Toutefois, les réflexions autour du nouveau stade et de son apparence notamment se sont poursuivis malgré les différentes approbations données tant par la ville que par la région et, à l’issue du processus, un nouveau design a été retenu courant 2018 parmi les trois propositions retenues. Un choix qui est né des désirs du club et de la concertation des supporters appelés à s’exprimer sur leurs désirs concernant leur future maison. C’est le projet du consortium Sportium qui a finalement été retenu et il faut avouer que le résultat est visuellement très plaisant. La nouvelle (et définitive ?) enceinte des Rossoblù permettra, pour le prix de 60 millions d’euros, d’accueillir 25 000 supporters avec la possibilité d’étendre cette capacité à 30 000 pour d’éventuelles compétitions européennes et internationales. L’idée ayant plu avec la Sardegna Arena, le « Nuovo stadio » - qui reprendra le naming « Unipol Domus » du stade actuel – permettra une proximité entre les tribunes et le terrain. Une infrastructure pour laquelle l’attention a été en partie portée sur le développement durable, celle-ci ayant vocation à s’inscrire dans son environnement. Le stade doit, en effet, être partiellement construit en reprenant les caractéristiques chromatiques et matérielles de la ville : le stade sera revêtu d’un matériau qui, par ses qualités esthétiques et sa couleur, rappelle la pierre calcaire locale qui a servi à la construction des édifices de la ville pendant des siècles. Pour l’autre partie, ce sont tout simplement les vestiges du Sant’Elia démoli qui serviront à construire la nouvelle enceinte. Une manière de renouer à la fois avec l’histoire du club et celle de la ville, démontrant ainsi encore une fois le fort attachement qui lie le Cagliari Calcio à son territoire. Au niveau écologique, le nouveau stade bénéficiera du label N-ZEB (pour Nearly Zero Energy Building, un bâtiment à émission quasi nulle), s’inscrivant dans le respect des directives européennes pour assurer un impact et une gestion aussi éco-durable que possible. Le projet prévoit en outre une zone commerciale comprenant magasins et restaurants, un bar, une boutique officielle ainsi qu’un musée portant sur le club, mais également un hôtel de 72 chambres accompagné d’une piscine avec vue sur la mer, d’un centre de bien-être, d’un spa, de salles de sport ainsi que d'autres espaces sportifs. Quant à l’espace occupé par la Sardegna Arena, il sera transformé en espace vert et parkings. Tout ceci dans le but de faire vivre l’enceinte toute l’année, en allant bien au-delà d’une simple utilisation les jours de match, et ainsi permettre de dégager de précieuses retombées dans le tissu économique local. « L'impact positif du projet sur la structure sociale et économique du territoire concerné sera important, avec le réaménagement et l'amélioration urbaine de l'ensemble de la zone du stade, ce qui améliorera la qualité de vie des citoyens et créera un stade moderne, durable et avec une forte identité du territoire qui l'accueillera. » - Communiqué du Cagliari Calcio. Pour la construction de cette nouvelle forteresse, le club s’est finalement tourné vers l’entreprise Costim au terme d’une procédure préalable de mise en concurrence ayant vu la participation d’un grand nombre de partenaires potentiels. Un choix qui a été fait en particulier sur la base de multiples critères dont la fiabilité, le profil innovant de l'entreprise et sa capacité à satisfaire, dans le détail, chaque exigence envisagée par la réglementation notamment en ce qui concerne les prescriptions dictées par la loi du 27 décembre 2013 dite « loi sur les stades ». Initialement prévu pour 2021, les difficultés suscitées par la pandémie ont eu pour effet de repousser le début des travaux à 2022 avec une prévision d’achèvement de ceux-ci en deux ans, de quoi permettre aux cagliaritains, et aux sardes plus globalement, d’investir leur nouveau domicile en 2024. Le financement du projet reposera sur un investissement public-privé, un accord ayant été trouvé entre le club de la capitale sarde et l'Istituto per il Credito Sportivo, banque publique italienne placée sous l’autorité du Ministère de l’Economie et des Finances et spécialisée dans le domaine du crédit pour les projets immobiliers sportifs et culturels. Celui-ci a été chargé de la coordination du montage du projet d'investissement, dans le but de rechercher toute acquisition de ressources financières, y compris par des tiers, pour couvrir les différents coûts affectés à la construction du stade et au développement de la zone environnante. Une banque à laquelle ont également eu recours la Juventus pour la construction de son Juventus Stadium ainsi que Bologna pour la reconstructio2n du stade Renato Dall’Ara. La vie d’un club est faite de multiples étapes, les unes s’imbriquant dans les autres comme dans un puzzle pour aboutir à un résultat donné, conséquence de choix opérés méthodiquement et judicieusement. Le club de Cagliari n’a naturellement pas dérogé à la règle. Au contraire, il faut dire que pour tout Sarde, le football est une vraie montagne russe. Mais celui-ci sait se montrer résilient et à une époque où le football évolue parfois à mauvais rebours, Cagliari se donne les moyens de se réinventer pour continuer à s’inscrire durablement dans le football italien, et espérer un retour aux sommets de la Serie A. La construction de ce stade marque définitivement une nouvelle étape majeure dans l’histoire du club, car un nouveau stade s’accompagne généralement de nouvelles ambitions. Les châteaux se construisent et se défendent, alors gageons que celui-ci soit plus imprenable que le précédent. |
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