Le football se retrouve aujourd'hui bien plus que de raison pris entre des intérêts étonnants, contradictoires, ou pis, sans liens apparents. L'omniprésence de considérations pécuniaires et d'arrangements de couloir égratignent peu à peu nos cœurs de passionnés, jusqu'à l'érosion profonde. Les fêlures laissent place aux craquèlements, qui donneront, si rien ne change, les failles béantes de demain. Aussi, lorsque chaque lueur de romantisme de ce sport unique transperce la noirceur de toutes ces zones d'ombre, c'est tout simplement la beauté du football qui s'en trouve exaltée, et nos coeurs se remettent à battre au rythme d'un simple ballon. A Constanța, aux confins de la Roumanie, un phare érigé au bord de la Mer Noire illumine tout un pays grâce à l'irradiant Gheorghe Hagi, qui après une étincelante carrière de joueur, a su trouver les moyens lumineux de transmettre sa flamme. RENDRE CE QUE L'A REÇU « Le moment est venu pour moi de donner au plus grand nombre d'enfants possible la chance de se préparer au plus haut niveau et d'avoir de meilleures performances que moi. » - Gheorghe Hagi C'est en ces termes que le Magicien des Carpates voit ce que doit être son académie et ce qu'elle doit apporter, non pas seulement aux jeunes de la région, mais à toute la jeunesse de Roumanie. Car si pour un Occidental, la Roumanie reste l'un des parents pauvres de l'Europe de l'Est, Hagi refuse le fatalisme et décide de miser sur les richesses mal exploitées du pays en mettant en place un pôle d'excellence de la formation roumaine. Son objectif est d'amener la Tricolorii (surnom de la sélection roumaine) vers un nouveau parcours international, lui qui a autrefois porté sa sélection à travers le monde. Pour mettre en place ce pôle de performance et ce projet ambitieux, Hagi est d'abord devenu propriétaire du FC Viitorul (qui signifie avenir en roumain, ndlr) Constanța en février 2009. Afin d'avoir la pleine maîtrise du développement technique du club, il a pris les reines de l'équipe première de septembre 2014 à juillet 2020, avant de prendre plus de recul dans un rôle de directeur technique entre août 2020 et juin 2021. Son projet créatif et ambitieux est bel et bien le sien, et il s'y investi corps et âme, à l'image de l'élégant mais travailleur meneur de jeu qu'il était, et est toujours. Originaire de Sacele, dans la banlieue de Constanța, Hagi n'envisage pas de créer son projet ailleurs. C'est à plus de 2h30 de la capitale Bucarest que se trouvera l'épicentre du football roumain, puisqu'il en a décidé ainsi. Et, pour donner une ampleur plus grande encore au projet, il se rapproche de l'ancien avant-centre international Ciprian Marica, président du FC Farul Constanta (farul signifie phare en roumain, ndlr) , pour fusionner les deux entités et unir leurs forces. Ainsi à l'été 2021, de l'union du FC Viitorul Constanța et du FC Farul Constanța 1920, né le Farul Constanța, et, depuis le 1er juillet 2021, c'est Gheorghe Hagi qui en est le propriétaire et l'entraîneur de l'équipe première. Toujours leader et en première ligne, l'ancien numéro 10 n'est pas près de passer la main à 56 ans. Le phare désormais bien en place et renforcé, tout est en place pour diriger les jeunes pépites dans la bonne direction, et l'avenir semble donc tout tracé pour les futurs Tricolorii. Se permettre ce petit détour dans la linguistique locale, c'est insister sur le fait que Hagi ne laisse rien au détail dans son projet. Tout a du sens et doit mener à la formation la plus aboutie possible. En effet, si le génial gaucher était autrefois un capitaine exemplaire, il est également aujourd'hui celui de son projet. Pour illustrer cet engagement, il est important de préciser que le club est né d'un investissement 100% privé, et qu'il tient et tourne bien évidemment autour de la figure mythique de son président. En tant qu'entraineur du club, le Maradona des Carpates a également fait ses preuves, puisqu'il a remporté le titre de champion de Roumanie en 2017, la Coupe de Roumanie en 2019, ainsi que la Supercoupe de Roumanie la même année. Sa présence sur le banc n'a donc rien d'un caprice de privilégié, il y est car il s'implique, et il gagne. UNE ACADÉMIE DOMINANTE EN EUROPE DE L'EST L'une des pierres angulaires du projet, que ce soit avec le Viitorul ou le Farul, c'est donc avant toute chose la formation. Afin de rendre ces aspirations concrètes, Hagi a rapidement bâti l'un des meilleurs centres de formation non pas de Roumanie mais d'Europe orientale, et cela à Ovidiu. Le choix d'Ovidiu est, lui aussi, savamment pensé. Cette ville du sud-est de la Roumanie, située dans la banlieue nord de Constanța, dans la province de Dobrogée, compte à peine 12 342 âmes. Sorte de banlieue résidentielle pour la classe aisée de Constanța, la ville offre un cadre serein et ultra propice au développement des futurs talents roumains. Un lieu isolé, loin de la grande ville, un voisinage quasi-inexistant : il n'y a rien d'autres à faire ou à penser que le football. Installer ses poulains dans un cocon pour en tirer la substantifique moelle, c'est aussi cela le sens du détail pour Hagi. Fondée en 2009, l'académie a coûté à Hagi la rondelette somme de 11M€, un investissement inédit pour un pays comme la Roumanie. Pour ce prix, il s'est tout simplement offert l'une des plus grandes et des plus modernes académies en Europe du Sud. Sur un complexe de 9 hectares, de multiples installations dernier cri sont mises à disposition des 300 jeunes joueurs qui garnissent les rangs des équipes U7 jusqu'à U19 chez les garçons. Il est important de souligner que la Gheorghe Hagi Football Academy cherche désormais à recruter des jeunes filles âgées de 7 à 12 ans afin de dupliquer son modèle au football féminin. Côté terrain, depuis leur création, les équipes U13, U15, U17 et U19 se classent quasiment chaque année premières et n'ont jamais fait moins bien qu'une quatrième place dans leurs championnats respectifs. Cette constance dans la performance démontre toute la solidité du projet, et Hagi, que l'on a traité de fou lorsqu'il a investi cette somme pharaonique, et qui passe désormais pour un visionnaire. Pour construire un tel succès, l'académie a tout misé sur le sportif, comme on aurait pu l'attendre de la part de Hagi. Mais ce dernier n'a à aucun moment eu la folie des grandeurs, chaque euro dépensé a été réfléchi, et il a su s'entourer pour assurer pour l'accompagner dans sa mission. D'abord par son compagnon de toujours, Gheorghe Popescu, figure proéminente du football roumain lui aussi avec ses 115 sélections en équipe nationale. Il est le beau-frère de Hagi, et occupe la fonction de président du club. Et pour diriger son académie, il a placé sa gouvernance entre les mains de Pavel Peniu, lui aussi ancien joueur professionnel. Ce dernier a d'ailleurs porté les couleurs du FC Constanța entre 1975 et 1983, et a donc à coeur de défendre le projet comme si c'était le sien. La vice présidence de l'académie est également assuré par un homme de terrain ayant joué pour le club en 1996-1997, en la personne de Neculai Tanasa. Parmi les installations innovantes du centre de formation, on retrouve notamment des terrains de padbol, sport moins connu à mi-chemin entre le football et le mini-tennis, où les joueurs sont entourés par une surface vitrée. Cette pratique est née en Argentine en 2008, et le Maradona des Carpates ne pouvait, bien sûr, qu'y être sensible. Ainsi, les U10, U11, U12 et U13 ont un entraînement quotidien de padbol, où l'on recherche le développement de la qualité physique, des réflexes, de la coordination, et,ce qui est cher à Hagi, la faculté de penser et voir avant les autres. LES NOUVELLES PROMESSES MADE IN CONSTANTA Comment mieux démontrer l'efficacité de ces méthodes qu'en se l'appliquant à soi-même ? Hagi fils, Ianis, a fait tout son parcours de formation dans l'académie du paternel, et il évolue aujourd'hui au Glasgow Rangers après une première expérience à la Fiorentina et un passage difficile à Genk. À ses débuts à Constanța, Ianis fut le plus jeune joueur à être capitaine d'une équipe de première division, à 16 ans 9 mois 22 jours. Autre exemple saillant qui assoit définitivement l'académie Hagi comme la meilleure du pays désormais, l'un de ses plus brillants élèves, Cristian Manea, est devenu le plus jeune international roumain à seulement 16 ans et 10 mois... Outre cet exemple sportif, il est important de noter que si la figure de Hagi permet de donner un crédit sportif certain au projet, la dimension économique reste fondamentale pour que l'académie reste pérenne. Et pour ce faire, un grand nombre de sponsors ont été sollicité pour soutenir le projet, puisque pas moins de douze marques ont accepté de s'associer à l'académie, avec des mastodontes tels que Nike ou Pepsi en tête d'affiche. Il est intéressant de noter la présence de OMV Petrom, compagnie pétrolière roumaine, leader non seulement à domicile mais également dans plusieurs pays d'Europe de l'Est. Et ici aussi comment ne pas voir le rôle mélioratif que peut jouer la légende du football roumain pour ces marques nationales aussi bien qu'internationales. Les intérêts convergent, et Hagi ne laissera rien dépasser du cadre. Le sens du détail, encore et toujours. Sur le volet économique, Hagi n'est d'ailleurs pas dupe. Il sait parfaitement que son académie ne pourra perdurer qu'en vendant ses meilleurs talents au prix fort. Mais il n'y a ici aucune contradiction avec le projet originel de former la future génération dorée de la Tricolorii : celle-ci devra nécessairement aller se développer dans des championnats plus relevés pour défendre au mieux ce fameux maillot jaune. Ainsi l'exemple de Ianis Hagi est une nouvelle fois très parlant. Cédé à la Fiorentina en 2016 pour 2M€, le club roumain rachète le jeune Hagi pour 2,8M€ à peine un an et demi plus tard. Après une saison pleine pour se relancer, il rejoint le club belge de Genk pour 4,7M€ en juillet 2019. Concernant Cristian Manea, l'un des plus beaux bijoux de l'académie, l'histoire est plus triste, et montre peut-être la faille dans laquelle Hagi ne devra pas tomber. Cédé à l'Apollon Limassol pour 2,5M€, il est ensuite baladé entre Mouscron, Cluj et le Steaua. Manea est tombé dans les mains des clubs jouets du super-agent Pini Zahavi, et Hagi aurait tout intérêt, dans sa vision à long terme, d'éviter certains vautours qui rôdent trop près de son phare, au risque de voir le château de cartes s'écrouler bien plus vite qu'il ne s'est bâti. Mais pour l'instant, c'est encore le romantisme qui émane de ce joueur de légende qui laisse tous les amoureux de football en admiration devant ce qu'il créé encore aujourd'hui. Lui, en revanche, doit rester bien éveillé, a fortiori dans un pays en manque de moyens : la survie économique reste primordiale, surtout lorsque l'on a tant investi. Mais les gauchers ont cette vision que d'autres n'ont pas, et Hagi a le cuir dur. La pénombre ne s'abattra pas de sitôt sur Constanța, et bien courageux celui qui pourra éteindre le feu qu'il a toujours en lui. |
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